À Igé, le temps du souvenir et des projets

De gauche à droite : Béatrice Devedjian, secrétaire, Benjamin Boutin, directeur de France-Canada, Michel Ganivet, président, Isabelle Thierry, maire d’Igé, Jean-Pierre Gay, trésorier, Véronique Louwagie, député.

L’association Perche-Canada s’est réunie à Igé en assemblée générale le samedi 23 avril.
Cette réunion, très suivie, a été l’occasion de rendre hommage à l’abbé René Detoc, ancien curé par l’apposition d’une plaque dans l’église.
C’est aussi vers Marcel Correia, président de Perche-Canada de 1985 à 1993 et vers Émile Levesque, ancien trésorier, récemment décédés, qu’ont été adressées les pensées très émues des participants.
Les rapports moral et financier présentés par Béatrice Devedjian, secrétaire, et Jean-Pierre Gay, trésorier, ont été approuvés à l’unanimité.
À l’agenda 2022 : le vendredi 6 mai, Michel Ganivet, président, et Catherine Bry, vice-présidente, participent à l’assemblée générale de France-Canada à Brouage.
21 juin-2 juillet : voyage du président à Boucherville dans le cadre de l’année PierreBoucher. Visite du musée Pierre Boucher à Trois-Rivières.
30 et 31 juillet : fête de Mortagne, inauguration de la statue de Pierre Boucher (1622-1717) dans le jardin public. Une lettre d’information spéciale paraîtra à ce sujet à la fin du mois de juin.
Samedi 19 novembre, salle des fêtes de Mortagne : conférence des Amis du Perche, « Pierre Boucher (1622-1717), une enfance mortagnaise et la naissance d’un rêve » par Michel Ganivet.
Muséales de Tourrouvre : Perche-Canada est également engagé, aux côtés des élus, dans la refonte des Muséales de Tourouvre, notamment de la scénographie du musée de l’émigration française au Canada.
Projets 2023 : un salon du livre d’histoire (et d’histoires) aux Muséales de Tourouvre est envisagé à titre expérimental. En outre, la promenade d’automne sera à nouveau inscrite au programme.
Conseil d’administration : ont été élus, Claude Boitard, Isabelle Thierry, maire d’Igé et William Charlet, président d’Igé-Patrimoine.
À la suite du présent article, interventions de Michel Ganivet à propos de Marcel Correïa, Émile et Marguerite Levesque et René Detoc.

L’assistance

Marcel Correïa, reconnaissance et fidélité
Marcel Correïa (1943-2022) lors de l’assemblée générale de 1988 à Saint-Cosme-en-Vairais.
Marcel Correia fut le président de notre association au lendemain du décès d’Édouard Leboucher, c’est-à-dire de 1985 à 1996. Nous lui devons d’avoir assuré la continuité de l’œuvre de notre président fondateur Édouard Leboucher (1914-1985). La tâche n’a pas été toujours facile.
Et je voudrais, à ce titre, vous rappeler ici la composition du bureau élu en 1985. Cela nous permettra d’évoquer d’autres acteurs disparus de notre association.
Président d’honneur : Jean Aubry et Pierre Montagne.
Président : Marcel Correia.
Vice-présidents : Jean-Marie Mavré, André Durand.
Secrétaire : Marguerite Levesque.
Secrétaire-adjoint : François Touchet.
Trésorier : Émile Levesque.
Trésorier-adjoint : Germain Crajer.
Robert Tanné, en sa qualité de maire de Mortagne faisait d’office partie du conseil d’administration de Perche-Canada ainsi que Jean Claude Lenoir alors secrétaire général de France-Canada.
J’ajouterai à la liste, la trop discrète Françoise Montagne, auteure de tant de recherches sur l’histoire de l’émigration des Percherons vers le Canada qui, à jamais, feront autorité.
Et je n’oublierai pas non plus Robert Moreuil, premier trésorier.
Chaque année, lors de notre assemblée générale, Marcel Correia avait à cœur, de poursuivre le bulletin de Perche-Canada. Je reprends ici ses propos tirés du bulletin de 1987 lors de notre assemblée générale tenue à Parfondeval, également placée sous le signe de la nostalgie, puisqu’elle intervenait dans le prolongement des disparitions d’Édouard Leboucher, de François Touchet, de Robert Moreuil et de Jean Aubry décédé pour sa part le 25 août 1986 : « Par la perte, je cite Marcel Correia, de ces quatre pionniers de l’amitié franco-canadienne, l’association Perche-Canada a été durement éprouvée mais, fidèle au dévouement sans borne et à ce chemin d’amitié que nous ont montré nos prédécesseurs, nous continuerons dans cette volonté d’aider de toutes nos forces nos cousins canadiens à retrouver leurs racines. Nous rendons aussi hommage, poursuivait Marcel Correia, à ces courageux Percherons qui, au milieu de mille périls, de la dureté du climat, et de maintes autres difficultés, à force de sueur et de sang, ont réussi à fonder le noyau d’une grande nation… »
Cette même volonté de poursuivre nous anime encore et nous nous en réjouissons tous.
Marcel Correia a par la suite quitté ses fonctions pour s’installer au Mans où il a continué à œuvrer dans le cadre associatif, en particulier de l’association Classic Automotive, qui organise la grande parade des Pilotes des 24h du Mans. Il en a été le trésorier jusqu’à son décès.
Qu’il soit aujourd’hui remercié et salué pour son action à la présidence de notre association.
Claude Vitre a pris le relais en qualité de troisième président de Perche-Canada, personnalité également si active !
J’ai eu l’honneur de leur succéder en 2009, il y a 13 ans déjà avec une exigence : que ma présidence soit frappée à leur égard, du sceau de la reconnaissance et de la fidélité.

Émile et Marguerite Levesque

En 2016, lors du 60e anniversaire de Perche-Canada, Marguerite et Émile sont félicités par Lawrence Cannon, ambassadeur du Canada en France.

Porté par cette même exigence, a poursuivi Michel Ganivet, président, c’est vers Émile et Marguerite Levesque que je me tourne maintenant. Il fut trésorier, elle fut secrétaire de Perche-Canada, comme je le rappelais il y a un instant.
Je dis « Émile et Marguerite » tant leur couple était indissociable. Il le restera dans l’Au-delà. Nous avons accompagné mercredi Émile aux portes de l’Invisible.
Pendant la cérémonie, je n’ai cessé de me souvenir du petit sourire taquin et ironique qu’il nous adressait en réponse aux différents remerciements que nous avons pu lui réserver, à lui comme à Marguerite, la dernière occasion de le faire étant intervenue en 2016, lors de la venue de Lawrence Cannon, ambassadeur du Canada à Tourouvre.
« Tout ça, me soufflaient ensuite Émile et Marguerite, c’est bien trop d’honneur. On n’a pas fait grand-chose quand même. »
Émile et Marguerite, j’en suis désolé pour votre modestie, mais vous avez fait beaucoup, par votre sens de l’accueil chez vous à la Chevérie à Courgeoust, aussi pour notre association et surtout en redonnant vie à la maison de la Basse-Chevérie à Parfondeval qui vous appartenait, d’où est parti Jean Trudel en 1655. Vous avez transformé cette maison d’ancêtre en gîte inauguré le 6 mai 1977 par un premier hôte de marque à y passer la nuit, à savoir le professeur Marcel Trudel, dont les livres sur l’histoire de la Nouvelle-France sont désormais indissociables de toute recherche sur l’histoire de l’émigration française au Canada. Depuis, combien de Trudel ont séjourné dans cette petite maison si bien restaurée, plantée là depuis des siècles, comme tant d’autres maisons d’ancêtres, au milieu de la campagne percheronne ?
Devrais-je une fois de plus le rappeler : elle est le symbole de la terre des ancêtres, de ces petites gens qui osèrent, à la suggestion de Robert Giffard, à partir de 1634 et pendant quarante ans, établir une colonie agricole aux environs de Québec, en l’occurrence à Beauport.
Et je saluerai au passage nos amis l’organiste Jacques Boucher et la violoncelliste Anne Robert, son épouse qui pendant de nombreuses années, ont considéré ce lieu si important pour nous et nos amis descendants, comme leur pied-à-terre français.
Mercredi dernier lors des obsèques d’Émile, Anne et Jacques étaient là, avec nous, non seulement par la pensée mais, vous ne l’avez peut-être pas remarqué pour ceux qui y assistaient, aussi par la musique. À la fin de la cérémonie, nous avons entendu leur tout dernier enregistrement effectué à Mortagne il y a quelques années. Je ne me lasserai jamais de les entendre, nous enchanter et faire raisonner sous les voûtes, des accords magnifiques de l’orgue Cavaillé-Coll de Notre-Dame de Mortagne tenu par Jacques et du violon Guarneri del Gesù, maître luthier italien du 18e siècle sous l’archet d’Anne, unissant à jamais en un sublime élan, l’histoire et la musique.
Bien sûr, à chacun de leurs concerts, Marguerite et Émile, comme beaucoup d’entre nous, se trouvaient dans l’assistance.
Adieu donc à Marguerite et Émile, comme je le dirai tout à l’heure pour René Detoc, dans l’espérance de cet Au-delà où nous nous retrouverons tous un jour.

René Detoc, un hommage unanime

Lors de l’office religieux célébré en l’église d’Igé par Claude Boitard, prêtre, administrateur de Perche-Canada et Jacques Roger, curé de la paroisse Saint-Léonard-des-Clairières, Michel Ganivet et Isabelle Thierry, maire d’Igé, ont évoqué le souvenir de René Detoc.

Mon cher René, a notamment déclaré Michel Ganivet, ceci est une lettre que je t’envoie, poste restante, à travers l’Éternité sachant que, ta modestie dut-elle en souffrir, elle t’adresse notre hommage unanime, celui de ta famille, de tes amis, de tes paroissiens et des habitants d’Igé. Isabelle Thierry, maire reviendra sur le sujet au moment du dévoilement de la plaque.
Lors de tes obsèques, le 15 décembre 2020, tes nièces ont rassemblé dans leur mot d’accueil, tout ce que l’on pouvait dire de ta vie et de ton itinéraire de pasteur au service de l’Église.
J’y ajouterai pour ma part combien l’amitié, je devrais même dire les liens de famille entre Perche et Canada, plus particulièrement le Québec, sans oublier aujourd’hui les États-Unis, te doivent aussi beaucoup par les liens multiples que tu as su tisser entre les descendants des émigrants partis d’Igé et du Perche avec la terre de leurs ancêtres. Et curieusement, cet engagement n’est pas le seul fruit de ta volonté. Les événements, au fil de ta vie, y ont largement contribué.
Tu es né le 31 mars 1925 à Saint-Raoul-de-Guër dans le Morbihan et tu as toi-même commencé ta vie par une migration, celle de tes parents et de ta famille de Bretagne vers le département de l’Orne où vous vous établissez.
Seconde étape importante de ton voyage, intérieur cette fois, tu décides en 1938, d’entrer au petit séminaire de Séez où avec d’autres séminaristes vous vous employez à entrer en résistance contre l’occupant.
Tu es ordonné prêtre le 29 juin 1950. Quelques mois plus tard, en octobre, le destin te donne rendez-vous en l’église de Saint-Maurice-lès-Charencey où, jeune prêtre tu célèbres la messe. Se présente alors à toi Achille Goulet et son épouse Olivine. Ils t’expliquent qu’ils sont du diocèse de Trois-Rivières, qu’ils sont en pèlerinage vers Rome dans le cadre de l’année sainte, que l’ancêtre d’Achille, Jacques Goulet originaire de Normandel, dont la famille a vécu à La Poterie-au-Perche, est parti pour la Nouvelle-France en 1646. René fait connaître à Achille et Olivine des Goulet demeurés dans le Perche et le soir même, le couple québécois ravi, repart pour rejoindre un groupe de pèlerins qui s’envole vers Rome où il séjourne pendant une dizaine de jours. Ils sont alors reçus par Pie XII. Depuis Rome, Achille t’adresse une carte de remerciements.
René reçoit la carte d’Achille Goulet quelques jours plus tard. En même moment, tu as sous les yeux le journal quotidien La Croix qui titre sur la catastrophe qui s’est produite le 13 novembre dans les Alpes : l’avion des pèlerins de retour de Rome s’est écrasé dans le massif de l’Obiou. Dans la liste des 58 victimes, figurent Achille et Olivine Goulet, âgés respectivement de 52 et 50 ans, parents de douze enfants.
Les victimes de l’accident reposent aujourd’hui au Champsaur non loin de La Salette où tu t’es rendu en pèlerinage.
En 2014, alors que je faisais découvrir Igé à Pierre Guimond, de l’ambassade du Canada et à Louise son épouse, tu m’as raconté cette histoire. Je l’ai enregistrée. Ton témoignage est en ligne sur Youtube. Il nous permet de retrouver ta voix paisible encore chargée, 72 ans après cette tragique histoire, d’une profonde émotion.
Mais il était écrit que tu aurais encore rendez-vous avec le Canada. C’est là un signe du destin des plus explicites. Tu es d’abord nommé vicaire à Vimoutiers, puis en 1954, curé de Neuilly-sur-Eure, puis enfin curé d’Igé et de Pouvray le 23 février 1962.
Igé, un des principaux foyers, avec Tourouvre, Mortagne et Saint-Cosme, de l’émigration vers la Nouvelle-France du 17e siècle !
Ce ne sont pas les Goulet qui, cette fois, te donnent rendez-vous avec le Nouveau Monde mais les Beauvais, les Gadois, les Jarry, les Leduc, les Normand, et Trottier installés sur les rives du Saint-Laurent, ainsi que les Gasnier ou Gagné qui se partagent entre Saint-Cosme et Igé (le patronyme figure sur la plaque en l’église de Saint-Cosme).
L’histoire de tous ces gens-là, écrite il y a quatre siècles, nous paraîtrait bien lointaine si leurs descendants, en grand nombre, n’avaient manifesté, depuis le milieu du 20e siècle, le désir de revenir sur la terre des ancêtres, là où plongent leurs racines.
Qui pouvait le mieux les accueillir à Igé, sinon toi-même, curé, pasteur à nouveau projeté au cœur de l’histoire entre deux mondes réunis dans le plus vif désir de tisser des liens, de réparer l’oubli consécutif au traité de Paris de 1763 qui fait passer le Canada sous le drapeau britannique, sous l’effet également des Révolutions américaine et française.
Mais les aléas de l’histoire sont bien incapables de briser les liens de parenté. Tu as contribué à renouer le grand cousinage, celui qui a conduit à la fondation de Perche-Canada, association toujours reçue chaleureusement à Igé.
Toi aussi, tu as effectué le voyage vers le Québec dans les années 1990.
Nous n’oublierons pas pour notre part nos assemblées générales tenues ici. La première a eu lieu avant ton arrivée. C’était le 20 mars 1960 en présence de l’historien Marcel Trudel.
La suivante, le dimanche 2 avril 1978, en ta présence cette fois, est dévoilée, par Mme Pelletier, née Leduc, épouse de l’ambassadeur Gérard Pelletier, la plaque des émigrants,
Nous revoici à Igé le dimanche 11 avril 2010, jour où Gilbert Thil, autre ami disparu, donne une conférence sur l’histoire de l’émigration. Elle m’incitera à rassembler mes propres recherches qui aboutiront à la publication, en 2016 et 2017, de mes propres livres.
Et nous voici enfin, en ce samedi 23 avril, réunis autour de toi.
J’en arrive, mon cher René, à la conclusion de ma lettre. Au même titre que nos amis Marcel Correïa, Émile et Marguerite Lévêque, autres grandes figures disparues de notre association, dans le souvenir également de Robert Ruffray, prêtre de ta génération, que ton visage et ta présence demeurent à jamais en cette église, en nos cœurs et nos prières.
La plaque que nous avons tous tenus, ici, à dédier à ta mémoire y contribuera par les mots mêmes qui y sont gravés, je cite, « dans l’espérance de cet Au-delà où nous réunira à jamais ».


Le dévoilement de la plaque en mémoire de René Detoc par ses nièces à l’issue d’un office religieux célébré par Claude Boitard et Jacques Roger.